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Insaisissabilité légale et saisie de la résidence principale du débiteur en liquidation judiciaire

Lorsqu’un débiteur en liquidation judiciaire est propriétaire de sa résidence principale, celle-ci est en principe protégée contre les créanciers professionnels.

Mais si un créancier dispose d’une sûreté réelle (comme une hypothèque), il peut malgré tout demander la vente forcée du bien.

La Cour de cassation a confirmé, le 20 novembre 2024 (n° 23-19.924), que cette vente n’équivaut pas à une action de paiement interdite par la procédure collective.

Cette solution a été prolongée et complétée par un arrêt du 30 avril 2025 (n° 24-10.680), précisant la portée de cette insaisissabilité.

I. Le principe et ses limites : La protection de la résidence principale

Depuis 2015, la résidence principale de l’entrepreneur individuel bénéficie automatiquement d’une protection légale : elle est insaisissable par les créanciers professionnels (article L. 526-1 du code de commerce).

L’objectif est simple : éviter que l’échec professionnel entraîne la perte du logement familial.

Cependant, cette protection connaît des limites importantes :

  • elle ne joue pas contre les créanciers disposant d’une sûreté réelle (hypothèque, cautionnement réel, etc.),
  • et elle ne fait pas obstacle à l’exercice de ces sûretés, même en cas de liquidation judiciaire.

II. La vente forcée de la résidence principale du débiteur en liquidation judiciaire est possible (Cassation, Com, 20 novembre 2024 (n° 23-19.924)

Dans cette affaire, un créancier hypothécaire souhaitait faire vendre la résidence principale d’un débiteur en liquidation judiciaire.

La cour d’appel avait rejeté cette demande en considérant que la vente équivalait à une action de paiement, donc interdite en période de liquidation.

La Cour de cassation a censuré cette analyse :

  • la vente forcée n’est pas une action en paiement,
  • le créancier titulaire d’une sûreté réelle peut donc faire vendre l’immeuble, même s’il s’agit de la résidence principale.

Cette décision a clarifié la distinction entre une action réelle (exercice d’une sûreté) et une action personnelle (demande de paiement), seule cette dernière étant prohibée.

III. La résidence principale du débiteur en liquidation judiciaire échappe au gage commun des créanciers (Cassation, Com, 30 avril 2025 (n° 24-10.680)

Quelques mois plus tard, la chambre commerciale de la Cour de cassation est revenue sur le même thème, mais sous un angle différent.
Elle a jugé que la résidence principale insaisissable d’un débiteur en liquidation judiciaire ne fait pas partie du gage commun des créanciers.

En conséquence :

  • le liquidateur judiciaire n’a pas la possibilité d’agir sur ce bien,
  • les indemnités d’assurance attachées à cette résidence (par exemple en cas de sinistre) échappent également à la procédure collective.

Cet arrêt renforce la logique protectrice du législateur : la résidence principale est « sanctuarisée », sauf pour les créanciers qui bénéficient d’une sûreté réelle.

IV. Conclusion

La Cour de cassation poursuit la construction d’un régime équilibré :

  • le logement familial bénéficie d’une insaisissabilité renforcée, y compris contre les interventions du liquidateur judiciaire ;
  • mais cette protection ne prime pas sur les droits des créanciers garantis par une sûreté réelle.

En pratique, cela signifie que si un chef d’entreprise a mis en garantie son logement pour obtenir un financement professionnel, il s’expose à ce que le créancier puisse en demander la vente forcée, même s’il bénéficie d’une procédure de liquidation judiciaire.